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Rokia Traoré explique les raisons de sa grève de la faim.
L’arrestation de Rokia Traoré à sa descente d’avion à l’aéroport de Roissy, le 10 mars offusque, surprend et crée une déferlante d’émotions dans les médias et les réseaux sociaux. Cette affaire prend une tournure inattendue car la jeune femme a entamé une grève de la faim pour dénoncer son incarcération abusive dans une prison française.
Il y a quelques mois l’artiste malienne se produisait à la Philharmonie de Paris sur un hommage à Miriam Makeba. Elle avait déjà été arrêtée à Dakar avant d’être relâchée et interpellée de nouveau sur le sol Français.
Sa déclaration permet d’en savoir un peu plus sur les raisons des poursuites, ses arrestations au Mali et à Paris, ainsi que son geste désespéré dont l’objectif est de protéger sa fille de 4 ans.
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
ROKIA TRAORÉ est incarcérée en France
Voici la note que Rokia Traoré avait écrite en Décembre dernier :
QUE VALENT LES DROITS D’UNE FEMME ET D’UNE PETITE FILLE ?
Jusqu’en mai 2019 j’étais certaine que la justice des hommes en notre monde sert bien à maintenir un équilibre indispensable à nos libertés et notre sécurité. Mais avec effroi je découvre que nos droits ne pèsent pas le même poids dans la balance de mère Justitia selon que nous soyons femme travailleuse ou pas, noir ou blanc du point-de-vue de l’Europe ou de l’Afrique.
Depuis le 30 octobre 2019 il existe un mandat d’arrêt international, indice rouge à mon encontre, pour enlèvement, séquestration et prise d’otage.
J’ai été arrêtée d’abord au Sénégal, lors d’un voyage pour un spectacle à Dakar, les autorités sénégalaises en vertu des accords CEDEAO et d’un manque de précision dans le dossier ne coopèrent pas pour une extradition. Ils signalent la situation à Interpol au Mali. À mon retour à Bamako le 4 novembre 2019 Interpol me convoque et m’entend. Interpol Bruxelles est averti du fait que l’enfant signalée comme disparue est aussi de nationalité malienne et vit au Mali avec sa mère depuis 2015. Interpol à Bamako me demande de les tenir au courant de mes déplacements rester à leur disposition pour la suite de leur enquête qui sera en fonction de la réponse d’Interpol Bruxelles.
J’arrive à Paris le 25 novembre 2019, pour prendre un deuxième avion à destination de Moscou où je devais travailler dans une pièce de théâtre, je suis arrêtée à la sortie de l’avion par trois agents de police qui étaient spécialement venus m’accueillir/me cueillir, et Je suis amenée à un poste de police à Roissy, mes empreintes digitales sont relevées, prise de photos, je suis enregistrée comme criminel coupable d’enlèvement, de séquestration et de prise d’otage, je passe la nuit dans une cellule de 110/220 cm, avec W-C turque intégré. Je suis présentée menottée à l’avocat général à la cours d’appel de Paris qui décide de me laisser librement me rendre à Bruxelles m’expliquer au juge d’instruction ayant émis le mandat d’arrêt international pour enlèvement, séquestration et prise d’otage.
Mon avocat prend contact avec le juge d’instruction à Bruxelles afin de s’assurer que je puisse arriver jusqu’à son cabinet, entendre ce dont on m’accuse, m’expliquer. Le juge d’instruction belge pose comme condition à la levée du mandat d’arrêt international, afin que je puisse me rendre à Bruxelles, la remise de l’enfant à son père.
Ma fille affirme avoir subi des gestes d’attouchement de son père.
- Le père en apprenant les propos de l’enfant, et tout en résidant à Marseille où il travaille, engage une requête auprès du tribunal en droit de la famille à Bruxelles pour que lui soit fixé un droit de visite et que son autorité parentale soit prise en compte. Nous n’étions pas mariés civilement et n’avions pas vécu en couple dans un domicile commun en Belgique. Je vivais au Mali avec mes deux enfants de manière très officielle. Mais il n’y avait jamais eu de refus de son droit de visite, ni de non- respect de son autorité parentale.
- Le juge à Bruxelles s’octroie la compétence juridictionnelle malgré le fait qu’aucune des parties ne vit en Belgique. Mais celui qui a porté plainte est belge résidant en France.
- Le juge décide de ne pas prendre en compte les certificats de fréquentation de mes enfants dans des écoles internationales à Bamako afin de déterminer ma réelle résidence et celle de l’enfant dont il est question dans le dossier qu’elle a décidé de s’approprier.
- Je suis accusée de mes voyages pour mes concerts et mon rôle d’ambassadrice de bonne volonté de l’UNHCR qui ne me laisseraient pas, selon la partie adverse, le temps d’être une bonne mère. Mais il n’y a aucune preuve de la fréquence de mes voyages et mes absences de la vie de mes enfants dans le dossier.
Au vingt et unième siècle il ne serait apparemment pas permis à une femme artiste avec une respectable carrière d’être aussi bonne mère.
- Il m’est reproché de vexer le juge à Bruxelles en étant pas présente physiquement aux audiences. Mon avocate belge de l’époque m’explique « le juge a particulièrement mal pris votre absence ». Je lui demande si elle n’avait pas rappelé au juge que je vis à Bamako et que les billets d’avion coûtent chers, en plus de mon hébergement à organiser pour chaque audience, en plus des frais d’avocat ? L’avocate me répond : « bien, il faudra vous débrouiller pour être présente à la prochaine audience ».
Le fait que j’avais veillé à trouver des avocats pour me représenter comme j’ai pu à chaque fois en habitant sur un autre continent n’avait aucune importance, le juge ne comprenait pas mon absence. Sachant qu’elle avait dans le dossier toutes les preuves de ma vie et celle de mes enfants en Afrique. Elle avait également les preuves que j’avais mes deux enfants à charge. Le père lui-même explique dans son dossier ne pas être en mesure de contribuer à la vie de son enfant.
- Compte n’est pas tenu d’affirmations de ma fille de quatre ans expliquant des gestes attouchements de son père.
- Une décision de justice belge me retire la garde de l’enfant, l’attribue au père qui n’a jamais vécu avec elle, ne s’est jamais occupé d’elle que pendant des périodes courtes de vacances.
- Je dois amener mon enfant et la remettre au père en Belgique, alors que ce dernier affirme l’avoir inscrite dans une école en France à Marseille. Le juge précise bien que le père inscrira l’enfant dans l’école de son choix.
- Aucun droit de garde n’est défini pour moi, aucun droit à un avis sur l’école dans laquelle le père l’inscrirait, ou le genre de vie qu’il lui organiserait en étant célibataire, directeur d’un festival important et absent au moins deux semaines par mois pour son travail.
L’enfant est de nationalité malienne aussi, elle vit à Bamako avec moi depuis sa naissance, elle y fréquente une école internationale depuis 2017.
Au moment de la décision du tribunal de Bruxelles confiant sa garde au père son école avait repris depuis deux mois. Le père n’a fourni aucune garantie de lui faire continuer sa scolarité dans le même type d’école.
Je suis accusée de non-présentation d’enfant transformée en enlèvement, séquestration et prise d’otage malgré le fait que mon enfant va à l’école depuis août 2017 à Bamako où nous vivons.
Il ne m’a jamais été notifié de mandat d’arrêt émanant de la Belgique ou de convocation avant ma première arrestation à Dakar où je découvre que je suis recherchée par Interpol sans réussir à comprendre comment ? Pourquoi ? À l’époque mon avocat belge explique qu’en raison du nombre important de juges d’instruction il n’avait pu avoir d’information sur celui qui avait émis le mandat d’arrêt international pour un enlèvement d’enfant. Il n’y avait pas eu d’enlèvement d’enfant.
Pourtant la justice Belge a mes coordonnées, mon email, mon numéro de téléphone portable français. Une citation à comparaître m’avait bien été envoyée par email un 1er mai et avait été validée par le juge aux affaires familiales belge auparavant.
Apparemment seule la Belgique pourrait lever ce mandat d’arrêt international. Le fait que je sois une mère normale, honnête avec une décision de garde exclusive de mon enfant par un système de justice en Afrique où nous vivons n’y change rien.
Malgré le grand respect que j’ai pour la justice et ses représentants en tout ce que je fais et partout où je vais dans le monde, je ne peux livrer ma fille dans de telles conditions.
Selon ce que m’a affirmé mon deuxième avocat belge, une décision exécutoire, dans le cadre d’un jugement définitif en première instance ne me laissait aucun choix malgré la possibilité d’appel qui n’est pas suspensive. Il n’y avait aucun recours selon cet avocat pour demander que l’enfant reste dans sa vie habituelle pour au moins achever l’année scolaire et le temps de la procédure d’appel.
Il est clair que le jugement ne prend pas en compte les perturbations certaines de l’enfant du fait de la retirer de l’environnement qu’elle a toujours connu, la confier à un père dont on ne sait pas comment il s’organiserait pour s’occuper d’un enfant de quatre ans qu’il n’avait jamais élevé auparavant, puis éventuellement la remettre à nouveau à sa mère selon l’issue de la requête d’appel.
Les délais en matière d’appel à Bruxelles accusent un retard d’un an en ce moment selon mon troisième avocat belge.
en Belgique les enfants seraient traités comme s’ils étaient un bien matériel qu’il est possible d’octroyer, retirer et réattribuer dans n’importe quels environnements. Ou alors ce traitement concernerait-il uniquement des enfants nés de mères porteuses noires qui n’ont aucun droit et dont les enfants n’ont aucun droit en dehors de leur belgitude ?
Je suis terrorisée, ma liberté entravée, ma carrière en danger. Je suis poursuivie au même titre que les criminels de haut niveau par ce qu’un juge a clairement décidé de placer les intérêts d’un belge avant les droits d’un enfant et ceux d’une femme qui n’a commis d’autre crime que de protéger son enfant.
Aucun compte n’est tenu de la souveraineté du Mali. Malgré tout, ce pays reste un état où séjournent encore aujourd’hui des ressortissants européens dans le cadre de coopérations internationales. Jusqu’à preuve du contraire le Mali est un état indépendant dont les ressortissants ont des droits. Moi et mes enfants sommes maliens, j’ai fait le choix de les élever au Mali. Je travaille et réussi ce choix honnêtement et dans le respect des lois.
Je suis choquée, de la facilité avec laquelle des moyens judiciaires et sécuritaires internationaux élaborés à la base pour assurer la sérénité la meilleure possible pour les citoyens de tous les pays peuvent être détournés à des fins de persécution d’une mère inoffensive et honnête, sans aucun antécédent criminel connu dans le système judiciaire, sans aucune perturbation psychiatrique connue et dont la résidence et l’identité sont parfaitement connues de tous.
Il serait plus simple d’entreprendre une procédure d’exéquatur avec le Mali, pays clairement indiqué comme ma résidence avec mes enfants.
Pour quelle raisons est-ce que ce n’est pas le cas dans une affaire en droit de la famille où les identités et résidences de toutes les parties sont connues ?
Par ce que l’Europe est toute puissante ?
Encore de nos jours, si les enfants métisses ne sont plus retirés de mères esclaves ou sous domination coloniale, si désormais noirs et blancs partout dans le monde partagent les mêmes espaces publiques et sont officiellement égaux, les droits d’un père blanc belge auraient quand même plus de poids que ceux d’une mère noire et une petite fille métisse ?
L’audience d’appel est prévue en mars 2020. Je ne pourrais m’y rendre si je suis toujours accusée d’enlèvement séquestration et prise d’otage et que je suis pas allée m’expliquer avec le juge d’instruction à Bruxelles, avec le risque d’une condamnation à la prison de toute façon.
N’ayant pas respecté la décision de justice belge et livré ma fille en Belgique pour les raisons expliquées plus haut, je suis effectivement coupable de non-présentation d’enfant, un délit, un dossier en correctionnel. Mais techniquement il n’y a pas eu d’enlèvement, puisque l’enfant était à Bamako où elle vivait avec des attaches vérifiables depuis au moins 2017. Aucune décision de justice confiant l’enfant à son père, ou définissant les modalités d’un droit de visite pour le père n’existait avant la décision de justice belge datant d’octobre 2019.
L’irrégularité, en raison de la non-compétence juridictionnelle de Bruxelles, de la procédure ayant mené à cette décision ne peut être reconnue éventuellement qu’à partir de l’appel afin que moi-même et l’enfant soyons remises dans nos droits.
En plus du fait qu’à ce jour je ne suis pas libre de voyager et travailler, si je ne peux me rendre en Belgique pour l’audience d’appel, mon droit d’appel serait automatiquement annulé selon la justice belge.
Selon les avocats, j’aurais deux choix à ce jours :
1- Amener ma fille et la livrer en Belgique en attendant la fin de la procédure d’appel, puis éventuellement récupérer l’enfant dans au moins plus d’un an si la non- compétence juridictionnelle de Bruxelles est reconnue, ou que le soupçon d’attouchements du père était sérieusement pris en compte. En attendant je n’aurai aucun droit de visite, aucun avis possible sur ce que le père ferait avec l’enfant y
compris éventuellement l’amener vivre où il voudrait dans le monde avant la fin de la procédure d’appel.
2- Privilégier l’épanouissement, l’équilibre et la sécurité de mon enfant, ne pas la livrer en Belgique et rester confinée avec elle au Mali en attendant ses 18 ans, changer de vie professionnelle si je peux afin de continuer à gagner ma vie et continuer à assumer mes deux enfants.
Dans ce cas je demeurerais une criminel recherchée pour enlèvement, séquestration et prise d’otage. Cet intitulé d’accusation me vaut une alerte indice rouge dans le système de recherche INTERPOL. Ce qui implique un niveau de vigilance requis pour les terroristes et les grands criminels.